vendredi 9 février 2018

Teppaz sérieux ?

S'il y a une bonne raison de venir à Loches, c'est pour s'arrêter dans la boutique de Joachim :

Nous partageons le même intérêt pour les objets anciens, le même but de les sauver de l'oubli.
J'essaye de les ressusciter, ou de simplement les préserver.
Joachim leur donne une nouvelle utilité, les transforme en œuvres d'art.

Il m'a parlé d'un électrophone qu'il écoutait dans la boutique. Il aurait fait un peu de musique, puis un peu de fumée.
Naturellement je lui ai proposé d'y jeter un coup d'œil, voici donc ce "Teppaz Oscar" à Paris.

© electrautopsy

Il est plutôt en bon état :
Un peu sale, un peu rouillé, il manque le logo. Mais le coffret n'est ni enfoncé ni moisi, il a son tapis d'origine et les grilles du haut-parleur sont intactes. Les cordons secteur / H.P. ne sont pas craquelés, on peut les conserver.

© electrautopsy

Je ne vais pas essayer de le nettoyer - et encore moins de refaire le logo -, il sera toujours possible de le faire plus tard.

Bon signe : Le sélecteur de tension secteur est bien sur 220 Volts.

© electrautopsy

Aujourd'hui la tension secteur est de 230 Volts, je mesure même 235 V. dans l'atelier.
On prendra ceci en compte si l'appareil est "sauvable".

Une décalcomanie indique qu'il a été vendu par un magasin de Preuilly-sur-Claise, non loin de Loches.
La cellule piézo (bien encrassée) comporte ses deux aiguilles, il serait plus prudent de la changer pour ne pas risquer d'abimer un disque.

On peut trouver une tête et des diamants ou saphirs ici :

© electrautopsy© electrautopsy

Sous le plateau, le caoutchouc du galet d'entrainement est quasiment fossilisé : À réparer si on espère entendre mieux qu'un bruit de casserole.

© electrautopsy

Fumée sans feu ?

À l'intérieur pas trace de résistance noircie, ni de condensateur vaporisé. Pas d'odeur de brûlé.
Les enroulements du moteur et des transformateurs sont OK, comme les filaments des lampes.

© electrautopsy© electrautopsy

Seule une capacité (en tube de verre) expulse son isolant, rien que de très classique.

Avec ses composants de travers ou qui se recouvrent, on ne peut pas dire que ce circuit soit un modèle de conception.
Et oui : Il y a bien plusieurs pattes de composants dans le même trou. Ça, c'est une première pour moi.

© electrautopsy

Côté pistes, le circuit imprimé est verni, soudures y compris.
On peut voir que des travaux ont déjà eu lieu : Des soudures ont été (assez mal) refaites, le vernis n'avait probablement pas été retiré.
Des pastilles sont décollées, les circuits "d'époque" en bakélite supportant mal les multiples soudages.

© electrautopsy

Pourtant les composants n'ont pas l'air d'avoir été remplacés, ce sont les mêmes que ceux visibles sur d'autres sites.

© electrautopsy

Mais d'après le schéma trouvé sur le très détaillé article de http://www.radios-tsf.fr, la résistance de 270 Ω est devenue ici 330 Ω.

Un autre schéma (http://tsfsepelliere44.e-monsite.com) montre un câblage différent du sélecteur de tension, où le moteur est alimenté directement par le secteur et non via le transformateur.

Résistance mesurée.

J'ai toujours cru qu'une résistance défectueuse se devinait à sa couleur "toastée".
J'avais tort :
En mesurant la 330 Ω je trouve environ 430... La 10K en fait 13.

D'habitude je ne remplace que les condensateurs, mais comme j'ai la moitié des composants dans mes tiroirs,  je ne suis pas à 4 résistances près.

Le vernis résiste aux pires traitements - décapant en gel, alcool, diluant cellulosique, essence, beaujolais nouveau, sauce kebab, ... En insistant j'ai peur d'abimer la bakélite.

Je nettoie donc chaque soudure avec une pointe de dentiste. Avec le pistolet à dessouder on peut agir très vite sans risquer de décoller de nouvelles pistes.

© electrautopsy

En remplaçant les composants la chaleur brûle le vernis à proximité : C'est moche, donc je gratte plus loin, j'étame, ça brûle... J'ai fini par étamer tout le cuivre. C'est beau et ça durera bien 50 ans.
On peut voir que j'ai sur-dimensionné les nouveaux condensateurs de filtrage d'alimentation.

© electrautopsy© electrautopsy

Les composants modernes sont plus petits et je les place à l'endroit le plus simple. (Et quand je dis "modernes", certains sont dans mes tiroirs depuis... 30 ans ?)

© electrautopsy© electrautopsy

Améliorations.

J'aimerai prolonger encore la vie de ce Teppaz en le rendant plus résistant au 230V d'aujourd'hui.
L'idéal serait que les filaments des tubes montent doucement en température.
Le tout avec un minimum de changements pour ne pas dénaturer l'objet (sinon autant refaire toute l'électronique).

Une simple résistance en série avec le transformateur pourrait régler le problème ?
Je sais déjà que non.
Mais comme j'ai vu de telles propositions sur internet, tentons l'expérience.

Sortons de l'équation le courant consommé par le moteur (actuellement alimenté par le transformateur), en le reliant - bobinages en série -, directement au secteur (La vitesse de rotation est imposée par le 50Hz, pas par la tension).

Il faut une résistance faisant chuter la tension (dU) de 10 ~ 15V.
Comme Je ne connais pas précisément le courant (I) consommé par le Teppaz en fonctionnement, je procède par tâtonnements avec des résistances de puissance, en commençant à 1 KΩ.
Avec 150 Ω on approche 220V, ce qui donne une dissipation d'environ 0,7 W.

© electrautopsy© electrautopsy

Pourtant ça ne fonctionnera pas.

D'abord, au démarrage (tubes froids), le circuit consomme peu car la diode UY85 ne redresse pas encore et tout ce qui suit n'est pas alimenté. Donc I est plus petit, dU aussi, et le transfo reçoit quasiment les 230V - donc 92V pour les filaments au lieu des 38+50=88 requis -.

Ensuite, avec un disque et le volume "fort" la tension restante fluctue entre 180 ~ 210.
On laisse tomber la résistance à l'entrée du secteur, au profit de résistances aux sorties du transformateur.

Je rebranche le moteur dans sa configuration // d'origine sur le transformateur.

Résistance aux filaments.

D'après les docs, les filaments des tubes consomment 0,1A pour 88V.
Il faut donc perdre 4V sous 0,1A, soit une résistance de 40 Ω qui va dissiper 0,4W.

Au démarrage, les filaments (froids) ont une résistance faible et consomment un pic de courant, puis en chauffant leur résistance augmente, le courant diminue jusqu'à la valeur nominale (voir tension-filament-des-tubes).

Donc à froid le courant est important, donc la résistance fait perdre plus de tension, donc les filaments reçoivent une tension plus faible, donc il chauffent "un peu".
Plus les filaments chauffent moins ils consomment, la résistance fait perdre moins de volts, la tension aux filaments augmente,... jusqu'à se stabiliser.

Il faut dimensionner la résistance pour qu'elle supporte le pic de puissance avant stabilisation à 0,4W.
Après essais la valeur finale est de 47 Ω, la tension démarre vers 40V et monte à 87V en 5 à 7 secondes. J'ai mis 3W, on est tranquilles.

Résistance sur la haute-tension.

La doc de la diode UY85 préconise une résistance de 100 Ω pour 250V à l'anode. Cette résistance n'est même pas présente dans le Teppaz !

Mais même avec 100 Ω, la tension théorique de 270V sur le schéma dépasse 290V, le 80V et le 180V sont respectivement à 85 et 200.
J'ai un peu tâtonné pour essayer d'obtenir exactement les tensions indiquées, y compris en prenant la haute tension directement sur l'entrée secteur.

© electrautopsy© electrautopsy

Puis finalement je suis revenu aux valeurs et schéma d'origine, en ajoutant simplement 120 Ω à la diode. On reste en dessous des limites décrites dans la doc de l'UCL82.

Histoire d'être sûr que l'ampli fonctionne bien, je relie l'entrée à une source audio propre. Je ne sais pas quelle est la sensibilité, mais comme l'entrée (à la place de la cellule) est reliée directement aux potentiomètres il suffit de baisser le volume pour éviter la saturation.

© electrautopsy

Surprise ! Le son est très clair, pas de souffle, un léger ronflement si on monte le volume.
Donc le problème provient bien de la cellule.
Je pourrai essayer de la rénover mais comme il faudrait de toute façon changer l'aiguille, autant acheter une cellule neuve avec ses deux pointes.

Grosse bêtise.

L'électronique fonctionnant, je m'attaque à la mécanique :
Le haut-parleur est démonté et dépoussiéré.
Le moteur est nettoyé à l'alcool, séché à l'air comprimé et les paliers reçoivent une goutte d'huile.

© electrautopsy

Puis c'est le tour du caoutchouc du galet.
Comme préconisé sur la plupart des sites parlant "Teppaz", je vais remplacer le caoutchouc par un simple joint de plomberie.

© electrautopsy

Mais la gorge dans la roue en acier me parait un peu étroite pour bien maintenir le joint torique.
Et le diamètre final est sensiblement plus important.
Même si une variation de diamètre n'aurait pas d'influence sur la vitesse du plateau, il faut que le débrayage fonctionne.

Donc je me dis :
"Facile, un petit coup de lime ronde ("queue de rat") pour arrondir la gorge ?"

J'ai creusé légèrement, le joint tient bien en place. Je remonte tout.

© electrautopsy

Premier essai.

Confiant, je place un premier disque... suspense...

© electrautopsy

Horrible : Ça fluctue (phénomène de "pleurement"), on dirait qu'un Brassens dépressif s'accompagne à la guitare Hawaïenne.

Je retire le plateau pour constater que la roue danse contre l'arbre moteur. La gorge que j'ai creusée n'est pas ronde, il y'a deux bosses.
Donc je lime les bosses, et naturellement c'est pire. J'ai fait un creux.

© electrautopsy
Bon.
Sans un tour à métaux j'ai peu de chance de faire une gorge parfaitement égale.
Si je continue, la roue va passer par toutes les formes de patates avant qu'il n'en reste que de la limaille.

On répare et on recommence.

L'idée est de reboucher les dégâts avec de la résine et de rectifier en faisant tourner la roue sur un axe.
L'axe est un morceau de fiche "banane" planté dans une planchette, la roue est fermement centrée mais peut être tournée à la main.
Je fabrique un moule avec une tranche de tuyau PVC, je remplis avec de la résine bi-composants.

© electrautopsy© electrautopsy© electrautopsy

La planchette support est immobilisée sur la table XY, je rectifie d'abord le diamètre avec une fraise droite (y compris le moule qui est resté collé...), puis je fais une gorge avec une fraise boule.

© electrautopsy© electrautopsy© electrautopsy

C'est gagné, la roue est parfaitement ronde - même si elle fait 1mm de plus qu'à l'origine -, ça tourne sans osciller.
Seul problème : En position débrayé le plateau tourne quand même doucement. Mais ça ne vaut pas le risque de rectifier plus loin, au risque de retomber sur le métal. On la garde.

© electrautopsy

Deuxième essai.

Je remet Brassens en piste, plus aucun "Pleurement". C'est juste, mais le son est mauvais, même à bas volume.
Je suppose que la cellule et le saphir sont quasiment morts : Quand on appuie un peu sur le bras le son s'améliore.
Je ne me risque pas au delà du simple nettoyage effectué.

Petits "plus" possibles.

Il y a des améliorations "respectueuses" que je peux envisager :

Option 1 : Ajouter une entrée = Le Teppaz comme ampli ?

Je suis surpris par la qualité de l'ampli, pourquoi ne pas en profiter pour y ajouter une entrée externe et écouter ses mp3 ?
C'est quand même plus chic qu'une enceinte bluetooth.

Option 2 : Ajouter une sortie = Le Teppaz comme source ?

Pour brancher le phono sur un ampli externe, ou sur un pc pour numériser des 78 tours.

Je ne veux pas dénaturer le Teppaz avec des interrupteurs, le mode doit changer quand on branche un câble.
Et j'aimerai effectuer la modification avec des composants simples existants à l'époque - même miniaturisés aujourd'hui -.
Les modifications devront être réversibles.

Ça picote.

Option 3 : Utiliser des prises "Jack" = Le Teppaz comme "gégène" ?

Dans les deux cas (entrée ou sortie) il y a un problème potentiel (strictement parlant) :
Le Teppaz est équipé d'autotransformateurs, donc les tensions présentes sont relatives au secteur.
Et selon le sens de branchement de la prise secteur, la masse peut être quasiment reliée à la phase !

Sortir un câble relié directement à l'électronique (comme avec l'ipod plus haut), ça fonctionne mais c'est risqué.

Tant qu'on y branche un appareil complètement isolé, il ne craint rien.
Mais si l'appareil est branché (par ex. sur un chargeur), que sa masse est reliée à la terre... il peut être traversé par 230 V.

Ensuite on risque de ressentir un picotement prendre un coup de jus(*) en touchant la prise jack.
Et si on a la curieuse idée de faire ça dans sa baignoire... penser à mettre un disque de Claude François pour parfaire l'expérience.
(*) j'ai vérifié accidentellement.

Isoler.

La solution est de passer par un petit transformateur audio d'isolement.
Je n'ai pas ça en stock et ça coûte entre 20 euros en qualité "téléphonie" et 60 euros en qualité "hifi".

Mais j'ai une self sur carcasse démontable et du fil émaillé fin.

Je bobine "à la main", en remplissant le noyau à peu près à moitié avant d'attaquer la seconde passe. Quelques centaines de tours plus tard... c'est loin d'un beau bobinage à spires jointives mais ça fonctionne.
Le rapport est 1:1 alors que je n'ai même pas compté les tours.

© electrautopsy© electrautopsy© electrautopsy

Je l'ai testé au générateur BF : Atténuation légère jusqu'à ~ 200Hz, quasi linéaire jusqu'à 11KHz, chute vers 14KHz. Largement suffisant pour le haut-parleur final.

Essai en entrée.

Si je relie le secondaire du petit transfo directement en // de la cellule (!), ça fonctionne parfaitement comme entrée audio. Le son est aussi bon qu'en direct, même si on ne peut pas espérer utiliser ce Teppaz en boombox.
Mais la faible impédance de la bobine court-circuite la cellule : Plus possible d'écouter un disque si le transformateur reste connecté.

Essai en sortie.

Ici la source du signal (en // sur le transformateur du haut-parleur) est à relativement basse impédance et forte amplitude.
Le petit transformateur ne doit fournir que ~1 V en sortie pour l'entrée audio d'un pc. Il est en série avec une résistance de 1 KΩ et ne perturbe pas l'ampli.

À l'oscilloscope on peut presque entendre les craquements issus de la cellule piézo en mauvais état.
Avec le bouton à mi-volume, le signal est déjà trop fort.

© electrautopsy

Commutation. 

J'avais envisagé des prises "jack" femelles mono avec un interrupteur incorporé, mais cet interrupteur est en contact avec une des broches de la prise, donc l'isolation recherchée est contredite.

Solution simple : 
Une embase isolée (DIN 4 broches + blindage), un relais 5V.
Deux broches - reliées dans la prise mâle - commutent le relais alimenté par l'enroulement 6V de l'ampoule.
Le relais activé (prise DIN branchée) déconnecte l'ampli de la cellule et le connecte au secondaire du transformateur d'isolement.
Le primaire du transfo est relié aux deux broches restantes et au blindage.

Avec deux relais et deux câbles spécifiques on pourrait sélectionner entrée OU sortie sur une embase DIN 5 broches.

Avec des relais à deux circuits on peut même utiliser un unique transformateur d'isolement - ce qui tombe bien, je n'ai pas de quoi en fabriquer un second -.

J'ai presque tout ce qu'il faut : Les relais, l'embase DIN 5 broches, les prises Jack mâles, du câble blindé.
Il ne me manque que les deux prises DIN mâles, ça ne coûte que quelques euros.

Le tout tient sur une chute de plaque proto, je l'ai fixée au dos du circuit via deux entretoises soudées dans le culot des tubes.
J'ai été obligé d'alimenter le(s) relais via un redresseur sinon il vibrait à 50 Hz.

© electrautopsy© electrautopsy© electrautopsy

Deux résistances "mélangent" la stéréo de la DIN vers l'entrée du transfo.

© electrautopsy© electrautopsy

Par sécurité j'ai finalement utilisé une prise DIN à 6 broches : J'ai coupé une broche inutile et bouché le trou correspondant. Cela fait un détrompeur qui empêchera de brancher autre chose qu'un des deux câbles spécifiques.

© electrautopsy

Les anciens composants sont sauvegardés dans l'appareil au cas où quelqu'un voudrait le remettre en état d'origine (bien que le trou pour la prise DIN serait difficile à effacer).


Voilà.
Ce Teppaz a non seulement retrouvé son fonctionnement d'origine mais il a également une nouvelle utilité.
Je vais le rendre à Joachim avec plaisir, car je sais qu'il ne finira pas au fond d'un placard.

Auprès d'mon Teppaz, j'écoutais heureux.

Le premier disque que j'ai placé sur ce Teppaz est un 33 Tours de Georges Brassens.
Et quelle chanson peut illustrer la nécessité de préserver les choses qu'on a cru dépassées ?
"Auprès de mon arbre" bien sûr.

J'ai mille cd
dans ma collection,
passer des vinyles
vraiment à quoi bon ?

Ce Teppaz mérite enfin
un petit peu d'attention,
pour qu'on puisse encore demain
y entendre un son.
J'ai des téléphones
aux mille fonctions.
Tourner un potar
Seuls les vieux le font.

Mais j'aimerai toujours ma foi,
écouter de la musique
sortant d'une boîte en bois.
Vive l'analogique
J'ai un magnéto
au fond d'un placard.
Même pas stéréo,
vraiment rien de rare.

Je serais pourtant ravi
d'y voir tourner une bande.
C'est à electrautopsy
qu'il faut que j'demande.



À suivre

Je continue à emballer l'atelier en prévision du déménagement à Loches, mais un nouvel objet va sûrement se retrouver sur la table d'opérations avant que le dernier tournevis ne disparaisse dans un carton.

D'ici là je vais proposer ma ré-interprétation de Brassens à Universal Music.
Rendez-vous à l'Olympia.