Semi Sport

Miharu (Mimi pour les amis) a rapporté du Japon quelques appareils à sauver. Parmi ceux-ci se trouvait un Polaroid qui - s'il reprend des photos depuis ma première intervention - à le "petit" défaut d'être le premier à les prendre... en rafale. (à lire ici).
Je vais essayer d'y remédier, mais en attendant je m'attaque à l'appareil qui semble avoir le plus de valeur pour sa famille.
Au moins, celui-ci n'a pas de moteur prêt à s'emballer.

D'après Wikipedia (lire ici), le "Semi Sport" a été fabriqué dans les années 40. Mais j'ai vu des appareils centenaires en meilleur état.

Bodies Are Dust. ⁽¹⁾

L'aluminium oxydé a décollé la peinture et boursouffle sous le cuir. La plupart des chromes sont irrécupérables. Tout est bloqué mais j'ai réussi à l'ouvrir avec un levier en plastique.
Et l'intérieur est en meilleur état que ce que l'on aurait pu craindre : Le soufflet est peu sec mais étonnamment il n'est ni déchiré ni même moisi.
Comme on peut le voir, le "Semi" au format 6x4,5 (film "120") prend des photos en mode "portrait" lorsqu'il est tenu horizontalement. Heureusement le viseur dépliant rappelle ce format.

Built For Trouble. ⁽²⁾

Alors je poursuis le démontage : Déclencheur, dos, viseur, objectif etc... rien n'a l'air cassé.
Mais ça tourne court : La plupart des pièces restantes sont fixées avec des rivets pleins, je n'ai pas l'outillage pour les remplacer alors je dois m'arrêter là.
Cela va compliquer la restauration car il ne sera pas question de tremper tout le boîtier avec son soufflet dans le décapant ni même dans le bac à ultrasons, encore moins de le chauffer pour le peindre.

The Eye. ⁽³⁾

Le moment est venu de tester l'objectif.
Mauvaise nouvelle, il est bloqué. Le diaphragme fonctionne mais pas l'obturateur.
Je démonte... Une fois les bagues de lentilles dévissées il faut faire pivoter la minuscule clavette en demi-disque qui bloque l'anneau de façade.

Ici aussi l'oxydation est présente mais ce n'est pas catastrophique. Un passage au bac et à la laine de fer ultra-fine et tout brillera.

The Mechanic. ⁽⁴⁾

Et le problème se précise : La came qui est sensée suivre le profil de la couronne de réglage de vitesse est immobile, mais si je la pousse délicatement elle se déplace.
Je retire la couronne et si j'aide un peu toutes les pièces mobiles du mécanisme ont l'air de bouger.

Shock Treatment. ⁽⁵⁾

Avant de pousser plus loin le démontage (que j'espère éviter), je vais essayer de dégripper le mécanisme :
- dégraissage à l'alcool.
- passage  au bac à ultrasons. C'est très efficace pour déloger les poussières.
- séchage à l'air comprimé.
- un peu de WD40 dans la mécanique.
- nettoyage du rideau à l'alcool, au pinceau léger et à l'air (il doit être parfaitement propre et sec).

Et ça fonctionne : Le rideau claque, sur les pauses longues (1 seconde) on voit et on entend le mouvement de chaque pièce. La durée de 1 seconde semble à peu près correcte mais je mesurerai les vitesses plus tard.

Petit problème : Les ultrasons ont décapé la peinture des marquages (je m'y attendais). C'est l'occasion de refaire à neuf le lettrage blanc qui avait jauni.
Il suffit de déposer une goutte de peinture blanche ou noire dans chaque lettre ou chiffre gravé puis d'essuyer rapidement l'excédant.

J'ai remarqué un marquage au dos de la bague d'ouverture :

Cela signifie "18è année de l'ère Showa (règne de Hirohito), 6è mois, 12è jour", soit le 12 juin 1943.
Le second Kanji se lit "Haru" (Printemps), c'est peut-être le nom de la personne qui a assemblé cet objectif ?
Merci Yukié pour la traduction.

Le filetage de la bague de distance est graissé, les lentilles sont parfaitement nettoyées à l'alcool et au tissu micro-fibres,  la moindre poussière est chassée à l'air comprimé avant de remonter.
Et l'objectif est quasi neuf.

Fly Paper. ⁽⁶⁾

Maintenant que je sais que cet appareil pourrait reprendre quelques photos, je continue avec le boîtier.
J'arrache le cuir moisi et je découvre que ça ressemble en fait à du papier. Il y a un numéro de série à moitié effacé, je le photographie pour mémoire.
J'ai également photographié précisément les marquages (filets et "Semi Sport") mais je sais pas si je pourrai les reproduire sur le matériau de remplacement.

La peinture est retirée au(x) décapant(s) puis le métal est poncé au papier de verre fin. La plupart des chromes étaient tellement piqués que j'ai dû atteindre la sous-couche de cuivre.
Comme les pièces sont indémontables il ne sera pas question de les faire re-chromer (et le prix serait déraisonnable).

Paint the Town Black. ⁽⁷⁾

Ici je découvre que peindre de l'aluminium n'est pas une partie de plaisir :
J'ai essayé pas moins de 3 peintures sur 2 apprêts différents mais le résultat n'a pas la solidité d'une laque cuite. Il faudra éviter les chocs sur cet appareil, mais de toutes façons je ne pense pas qu'il serve tous les jours.
Quant à repeindre les chromes avec de la laque "Alclad" (voir ici) j'abandonne rapidement : Je n'ai pas trouvé d'apprêt qui tienne correctement sur le cuivre et le résultat est décevant.
Je vais laisser le cuivre apparent, il perdra rapidement son brillant  dû au nettoyage, pour un aspect satiné plus en accord avec le reste.

Soft Touch. ⁽⁸⁾

Ce que j'ai trouvé de plus proche du "cuir" d'origine est un film autocollant que je le ponce légèrement pour en diminuer le brillant. Je découpe chaque pièce d'après un masque réalisé avec du papier adhésif fin découpé à même le boîtier.

Je pourrai reproduire les anciens marquages si le matériau était du papier, mais sur du plastique la seule solution que j'imagine serait une gravure laser. Je peux faire ça à Paris (voir ici), mais pas de chance le vinyle est proscrit.

Pour l'instant on se contentera donc d'une surface "noname".

Puis après un délicat nettoyage à la brosse, je passe le soufflet à l'huile de lin pour l'assouplir, ce qui ravive également sa couleur.

Voilà.
Malheureusement je n'ai pas pu (pour l'instant ?) restaurer  cet appareil photo au plus proche de ce qu'il était en 1943. Mes possibilités techniques et un coût "raisonnable" restent des limites qui marquent la frontière entre la sauvegarde et la restauration de collection.

N'empêche. Il est quand même plus beau après qu'avant.

Trial Run. ⁽⁹⁾

Naturellement dés que possible je chargerai un film noir et blanc dans cet appareil : 

- Pour le plaisir de ressortir la cellule photo de mon père.
- Pour réapprendre à réfléchir avant de prendre une photo.
- Pour l'attente du développement.

À suivre : Je vais mesurer les vitesses d'obturation (et essayer de trouver comment les régler si nécessaire), et régler la mise au point sur les valeurs de distance de la bague (ça je sais comment faire).

Puis je m'attaquerai à la restauration de l'étui en cuir, non sans avoir pris quelques conseils chez un cordonnier...

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Titres de la Série Noire :

(1) Bodies Are Dust.	P.J. Wolfson (1951)
(2) Built For Trouble.	Al Fray (1960)
(3) The Eye.	John Lutz (1986)
(4) The Mechanic.	Lewis John Carlino (1973)
(5) Shock Treatment.	James Hadley Chase (1958)
(6) Fly Paper.	Dashiell Hammett (1968)
(7) Paint the Town Black.	David Alexander (1955)
(8) Soft Touch.	John D. MacDonald (1970)
(9) Trial Run.	Dick Francis (1979)

 (source  Wikipedia/fr)